En Mai fais ce qu’il te plait

en Août tue-les toutes

Article publié dans la revue l’Abeille de France de Mai 2020 – n°1079 et proposé par Christian Tailliez, son auteur.
Membre du GDSA 72 et de l’Union Syndicale Apicole Sarthoise (USAS)

Je veux parler des ouvrières de frelon asiatique prédatrices de nos abeilles.
Leur présence devant nos ruches d’abord discrète en juillet et en août se fait
massive en septembre et surtout en octobre. Le cauchemar !

Que faire face à ce fléau ?

Bien sûr il est rassurant de capturer des centaines ou des milliers de frelons
en octobre grâce à des bouteilles-pièges mais n’oublions pas que tous ces frelons moribonds ont dévoré nos abeilles quelques semaines auparavant quand ils n’étaient que des larves…

1-Une démographie exponentielle !

La figure 1 traduit graphiquement l’accroissement vertigineux de l’effectif des
ouvrières constaté par chacun dans la seconde moitié du mois de septembre
(courbe bleue). Il est sans aucun doute la conséquence d’une explosion de
l’élevage dans le nid dès le début du mois d’août (courbe rouge) puisque le
développement prend plus ou moins 6 semaines du stade oeuf à l’émergence.

Figure 1 : Évolution du nombre de larves et d'ouvrières dans un nid de V. velutina

2- Une noria discrète mais efficace !

C’est en toute discrétion que le nid va trouver à s’approvisionner en proies pour nourrir toutes ces bouches. Faisons un petit calcul. Début août les ruches sont relativement actives, en tout cas elles ne sont pas paralysées comme en octobre.
Donc on peut compter qu’en une heure une prédatrice aura fait autour de 4 rotations. Elle aura travaillé 10h ce qui nous fait au moins 40 abeilles tuées par jour! En 10 jours elle aura donc prélevé 400 abeilles sur ma ruche et en un mois 1200! Si le nid est suffisamment développé et qu’il dispose d’une cinquantaine d’ouvrières chasseuses alors ce sont 60000 abeilles qui auront disparu en août dans la zone !! En réalité il faut tenir compte du nombre de ruches susceptibles de servir de garde-manger à 1 km à la ronde. En effet s’il n’y avait qu’une ruche elle serait vite paralysée par cette cinquantaine de prédatrices qui du coup ne pourraient quasiment rien capturer. Plaçons-nous dans un contexte de microruchers disséminés dans un espace urbain.
Avec 10 ruches dans le périmètre, les 50 prédatrices se répartiront en norias de 5 frelons par ruche, la pression de prédation sera forte (un frelon toutes les 2 minutes) mais encore insuffisante pour induire la mise en veille des ruches qui seront donc bien ponctionnées. Au final ma ruche aura tout de même perdu 6000 abeilles, rien que pour août, ce qui n’est pas négligeable et la communauté des apiculteurs locaux aura gagné un gros nid de frelons à se partager pour l’automne!

3- Une stratégie anti-frelons à imaginer !

Considérons tout nid du frelon asiatique comme un parasite des super-organismes que sont les colonies d’abeilles de son secteur. Il épuise lentement ses hôtes sans forcément les faire mourir.
Face à tout parasite il est nécessaire de mettre en place une stratégie de traitement afin de maintenir le niveau d’infestation à un niveau inférieur au seuil de nuisibilité.
Et comme pour tout parasite, il est indispensable d’envisager cette action collectivement. Si je suis le seul à chasser systématiquement les frelons dès le mois d’août puis en septembre et octobre le nid s’approvisionnera sur les ruches de mes voisins et ainsi il pourra grandir et mes efforts pour préserver ma ruche auront été vains, les norias se reconstitueront indéfiniment.

Ainsi je vous propose une stratégie collective à tester pour l’été 2020:
–> mener à partir du 1er août un affût quotidien de 10 ou 20 minutes jusqu’à tomber à zéro capture par affût. Puis recommencer la semaine suivante jusqu’au mois de novembre. Passer éventuellement à une durée de 20 minutes (voir la discussion ci-après).

Figure 2 : Le dispositif d’affût…

J’entends par affût le fait d’être posté à côté de une à quelques ruches et de tuer tous les frelons qui se présentent. Avec une épuisette prévoir une planche au sol sous l’entrée pour plaquer le filet et écraser le frelon (voir photographie de la figure 2). Pour plusieurs ruches (prévoir de les rapprocher) utiliser un filet à papillon et se placer devant les ruches pour une bonne visibilité. Des ratés sont inévitables mais avec un peu d’entraînement on obtient un bon rendement ! Attention à être bien attentif car un frelon expérimenté met peu de temps à saisir sa proie…

 

4- Un affût de 10 ou de 20 minutes ?

Depuis quelques années j’accumule des relevés obtenus lors d’affûts. Au cours de ces affûts je note le timing de mes captures. La somme minute par minute des captures réalisées sur plusieurs dizaines d’affûts révèle deux phases d’activité prédatrice entrecoupées d’un répit sans frelon ou presque (voir les exemples de graphiques de la figure 3 et la figure 4 qui résume la séquence).

Figure 3 : Quelques exemples d'évolution des captures de frelons pour divers affûts

Je vous en propose une interprétation.
→ La première phase qui dure une dizaine de minutes correspond aux frelons de la noria en cours.
→ La seconde correspondrait au recrutement de frelons de réserve restés au nid mais connaissant ma ruche. Pourquoi ces frelons ne prennent-ils pas part à la noria ? Peut-être sont-ils occupés dans le nid à d’autres tâches éventuellement pour certains en lien avec la noria (par exemple réception des proies pour les porter aux larves). Cette hypothèse pourrait expliquer que la moindre baisse de flux rentrant de proies soit détectée et entraîne une réaction rapide du nid assurant ainsi la continuité du service !
Il apparaît deux vagues de réactions successives. Une quasi immédiate et la seconde un peu plus longue à s’établir. Cette seconde vague de frelons pourrait correspondre à des frelons connaissant ma ruche mais moins directement en lien avec la noria sur cette ruche ou absents du nid au début de l’alerte mais qui finiraient par réagir en réorientant leur activité sur ma ruche. Ensuite on peut compter sur le travail des exploratrices pour reconstituer la noria à plus long terme.
La figure 4 résume la séquence.

Figure 4 : Évolution théorique des captures de frelons lors d'affûts de 20 minutes.
Figure 5 : un nid de frelon asiatique de 1m de haut. Décembre 2019. Le Mans.

Cette séquence théorique (fig.4) peut se décliner en de multiples versions comme l’illustre la diversité des graphes de la figue 3. Plusieurs explications peuvent être proposées. Il peut y avoir plusieurs nids de tailles différentes à des distances variées ou d’autres ruchers plus attractifs. Ce dernier cas de figure pourrait expliquer par exemple la faible prédation subie par ma ruche solitaire du site V en 2019 (fig.3) alors qu’un nid de 1m de diamètre existait à 150m (fig.5). Les frelons de ce nid se sont vraisemblablement concentrés sur un rucher qui certes était plus éloigné (690m) mais qui présentait deux avantages : le nombre de colonies (une dizaine) mais aussi une fréquentation certainement moins risquée…

Il peut y avoir aussi pour un même nid des durées de rotation différentes pour les frelons actifs sur ma ruche etc. Bref de nombreuses études restent à mener pour élucider la répartition des tâches et les modalités d’optimisation de l’approvisionnement en proies par un nid de Vespa velutina.

Pour ce qui est de la durée optimale d’affût à prévoir pour éliminer les frelons de la noria primaire nous voyons donc qu’il dépendra de la distance du nid principal. Une douzaine de minutes semble être un bon compromis que l’on peut ajuster une fois le graphe obtenu à partir de nos propres relevés. Si on dispose de plus de temps on pourra passer à 20 minutes pour éliminer aussi la seconde vague.

Résumons :
1 – seule une lutte concomitante de l’ensemble des apiculteurs du voisinage peut laisser espérer une réduction significative des nuisances de Vespa velutina ;
2 – c’est début août qu’il faut commencer à chasser du frelon, épuisette en main ;
3 – mener un affût quotidien de 12 minutes jusqu’à tomber à zéro capture par affût.
Peu importe l’horaire. Puis recommencer la semaine suivante jusqu’au mois de novembre.

Bien-sûr le mois d’août est pour bon nombre d’apiculteurs synonyme de vacances et donc d’éloignement de ses ruches MAIS il nous faudra intégrer le frelon asiatique un minimum dans nos vacances d’une manière ou d’une autre quitte à solliciter un voisin ! Même si on ne peut chasser qu’une semaine ce sera mieux que rien… Pensons-y, c’est en août, quand nous sommes sur la plage que nos abeilles se font dévorer !